’’. . . . Les espèces invasives sont néfastes à notre environnement, elles nuisent à la biodiversité en détruisant nos espèces locales . . . . .''Que n’avons-nous entendu ce discours alarmiste repris en chœur par la plupart des naturalistes et dicté, il est vrai, par quelques problèmes bien réels rencontrés avec certaines espèces. Que faut-il penser d’un tel discours ? Est-il réellement justifié ? Tamia, déclaré en Belgique ''espèce invasive". Plaide "non coupable" ! Vous trouverez, ici, d'autres photos de tamias On voit souvent dans ce terme une composante ‘‘espèce d’origine étrangère’’ (introduite ou arrivée d’elle-même) mais pas seulement puisque le terme qui convient pour désigner des espèces simplement étrangères est ‘‘exogènes’’ (alors que nos espèces locales seront, elles, désignées par ‘‘indigènes’’). Actuellement, dans le langage naturaliste courant, ce terme ‘‘invasif’’ sous-entend d’autres aspects : un caractère exogène, bien-sûr, mais aussi une croissance incontrôlée des populations concernées et une concurrence préjudiciable à nos espèces indigènes. La distinction entre les espèces indigènes et exogènes daterait du XVIIIème siècle mais il semble que la composante faisant référence à une ‘‘invasion’’ soit beaucoup plus récente puisqu’elle serait apparue la première fois en 1958 dans le livre de Charles ELTON ‘‘The Ecology of Invasions by Animals and Plants’’ Le caractère très militaire de ce terme montre tout de suite quels sentiments sont sensés nous animer, nous, les bons défenseurs de la nature : il faut combattre ces espèces invasives, elles n'ont rien à faire chez nous ! Pourtant . . . . . . Prétendre que tout ce qui vient de l’étranger est néfaste tiendrait plus de la xénophobie que de la science ! On ne peut évidemment pas tomber dans ce piège !
Prétendre que notre chère biodiversité est un équilibre figé, acquis une fois pour toutes et non pleinement évolutif, s’apparenterait à un discours fort passéiste . Le bien connu ‘‘c’était mieux de mon temps’’ n'est-il pas souvent le credo de ceux qui n'ont pu évoluer avec leur époque ? Ce rejet du changement a, ici, d’autant moins de sens que nous entrons, en plus, dans une période de bouleversements climatiques qui vont immanquablement entraîner le déplacement de nombreuses populations animales. Nous ne pouvons admettre la réalité du réchauffement climatique tout en refusant ses conséquences normales et prévisibles. Des espèces vont probablement nous quitter pour aller plus au nord, d'autres vont nous arriver du sud. C'est d'ailleurs déjà le cas. Soyons prêts à les recevoir avec discernement plutôt qu’à les expulser sans procès ! Prétendre que ces espèces invasives nuisent à la biodiversité, est-ce bien sérieux ? ?
La biodiversité, si elle mérite toute notre attention au niveau local (une réserve naturelle ou, même, un simple pré fleuri), doit aussi est considérée plus globalement à l’échelle des continents et à celle du globe ! Or, pour une espèce animale, la conquête de nouveaux territoires est souvent une garantie de pérennité. Combien d’espèces n’ont-elles survécu que parce qu'il existait plusieurs souches réparties sur diffférents continents ou dans différentes régions du globe ! Admettre cette évidence, n’est-ce pas alors accepter, au nom de la biodiversité mondiale, l’arrivée chez nous de nouvelles espèces exogènes qui viendraient y chercher un refuge salutaire ! La mise en garde contre le prétendu risque pour notre biodiversité n'est-elle pas trop souvent une simple excuse servant à cacher des raisons qui ne sont qu'économiques ? Les espèces déclarées commme nuisibles le sont-elles vraiment au sens environnemental général ? Beaucoup d'entre-elles n'apportent-elles pas, le plus souvent, qu'un préjudice purement financier à l'une ou l'autre de nos activités économiques. Est-ce une raison suffisante pour mettre leur tête à prix ? Est-ce raisonnable, dans notre monde de capitalisme effréné, d'ouvrir la porte à de tels critères économiques ? N'avons-nous pas retenu les leçons du passé, pourtant proche, lorsque nous avons autorisé l'agriculture industrielle à éliminer à grands coups de pestisides, tous les organismes qui gênaient leur commerce . . . Voyons où tout cela nous a conduit et dans quel état sont actuellement nos campagnes ! N'est-ce pas plutôt à l'homme à concevoir, installer et entretenir ses infrastructures en tenant compte de la présence à proximité de telle ou telle espèce ? Le "délit de sâle gueule" n'influence-t-il pas trop souvent nos réactions d'acceptation ou de rejet d'une espèce ? Pourquoi se réjouir de la récente nidification chez nous de tel bel oiseau blanc, pourtant pêcheur vorace mais tellement grâcieux, et rejeter avec violence un nouveau rongeur à l'allure moins avenante sous prétexte qu'il s'intéresse aux cultures céréalières. Certaines espèces auraient-elles, plus que d'autres, le droit de manger, le droit de vivre ? Il est bien connu que certaines espèces ont, dans notre culture, assez "mauvaise presse" (les araignées, les rats, . .), sommes-nous encore capables de les traiter avec les mêmes égards, la même impartialité que celles qui ont une jolie petite frimousse ? Ouette d'Egypte (Alopochen aegyptiaca), déclarée en Belgique ''espèce invasive". Plaide "non coupable" ! Vous trouverez, ici, d'autres photos d'ouettes d'Egypte Cela ne veut évidemment pas dire que tout nouvel arrivant doit être accepté les yeux fermés. Ce serait bien sot de le croire, mais nous manquons tout autant de discernement en affirmant que les espèces étrangères sont, d’office, néfastes à notre environnement, qu’elles nuisent à la biodiversité et qu’il faut les détruire . . . Il semble d’ailleurs que ce discours alarmiste, trop souvent présenté comme un sacro-saint principe d’écologie, propagé en chœur par la plupart des naturalistes et abondamment repris par les médias ne reflète, qu’avec beaucoup d'excès, l’avis des véritables spécialistes de la biologie de l’invasion ! Le discours médiatique sur l'impact des espèces invasives, parfois alarmiste jusqu'à la caricature, n'était probablement au départ qu'un message éducatif "fort" destiné à sensibiliser les populations mais c'est malheureusement ce seul côté excessif qui est le plus souvent retenu. Il semble même avoir finalement endormi une certaine capacité à raisonner pourtant indispensable face à un problème aussi complexe. Ragondin, déclaré en Belgique ''espèce invasive". Plaide "non coupable" ! Vous trouverez, ici, d'autres photos de ragondins Toujours est-il qu’une nouvelle façon de voir les choses pointe tout doucement à l’horizon. En 2011, Mark DAVIS, professeur de biologie au Macalester College (Minnesota) publie dans la revue ‘‘Nature’’ un article invitant à d’avantage de prudence. En 2014, Ken THOMPSON, écologiste anglais et ancien maître de conférences à l’université de Sheffield ‘‘remet le couvert’‘ et sort un livre intitulé ‘‘Where Do Camels Belong ? Why Invasive Species Aren’t All Bad ’’. Ces deux pionniers et maintenant d’autres scientifiques confirment l’intérêt d’évaluer d’une façon beaucoup plus nuancée, si la présence d’une espèce est nocive ou bénéfique et de ne plus la juger en fonction de ses seules origines. En Belgique, par exemple, les spécialistes environnementaux gestionnaires de nos réserves naturelles "importent" maintenant des espèces externes telles que les chevaux "KoniK Polski" (race "reconstituée" jugée génétiquement très proche de l'ancienne espèce sauvage européenne Tarpan (Equus Caballus gmelini) maintenant éteinte ou les vaches "Galloway" (Ecosse) pour pâturer leurs sites. Puissions-nous voir dans ces choix une évolution des mentalités ! Gageons que cette approche plus nuancée, plus réfléchie, plus scientifique remplacera rapidement l’ancien discours, pour ne pas dire la doctrine, que nous avons dû subir en cette matière au cours de ces dernières décennies ! Peut-être les espèces exogènes auront-elles enfin droit, dans leur fiche descriptive, à une colonne ‘‘Avantages’’ à côté de celle intitulée ‘‘Inconvénients’’ C’est ce que je leur souhaite ! Pierre BOURGUIGNON |